étude sociologique de ce quartier de Valence
Mon écrit paru dans Racines Drômoises numéro 126 de l’année 2018

F. de Belleforest, Cosmographie Universelle, Paris, 1575
À la fin du XIXe siècle, pour des raisons économiques, quelques-uns de mes aïeux ardéchois ont franchi le Rhône pour s’implanter à Valence.
Henry Guillot, artisan poêlier-fumiste, né à St-Didier-de-Crussol (devenu Alboussière) (07) et Elisa Barbier arrivent à Valence en 1887. Leur fille, Louise, mon arrière-grand-mère maternelle (Sosa 15), y naît en 1888 et s’y marie en 1910 avec Marius Rivier mais celui-ci meurt à la guerre en 1915. Elle se remarie en 1920 avec Louis Sapet[1] et, jusqu’en 1946, ils habiteront 15 Quai du Rhône, dans la basse ville.
Odette Rivier, née du premier mariage en 1911 à Bourg-Saint-Andéol (07), se marie en 1927 à Valence avec Fernand Guilhot, mon grand-père (Sosa 6), né à Baix (07).
Il est cartonnier chez Vallon-Mayousse comme son épouse qui travaille chez Blanc. Ils habitent au numéro 17 Quai du Rhône.
Valence a vu sa population s’accroître fortement de 1850 jusqu’à la Grande Guerre. Son développement exceptionnel a été impulsé par l’apport de population extérieure, plus que par l’évolution naturelle. Les Valentinois sont des déracinés !
Plus du quart des nouveaux habitants venait des communes voisines et l’Ardèche constituait également un grand réservoir : en 1891, pour 20 % des naissances, les parents étaient ardéchois.
Ils arrivaient du proche plateau et de sa bordure de la rive droite du Rhône, souvent après des contacts répétés avec la ville, à l’occasion des foires et marchés par exemple.
Ensuite, des courants plus lointains se sont établis, le plus souvent sans lien avec l’influence économique de la ville qui se nourrissait avant tout, et de plus en plus, de nouveaux arrivants. Ils se logeaient d’abord dans la basse ville, dans des conditions précaires, voire insalubres, puis au-delà des boulevards. En 1801, 93 % des Valentinois étaient logés dans la vieille ville ; en 1911 ce chiffre tombait à 26 %[2].
La population de la basse ville, au pied de la colline, par opposition à la ville haute, vivait du fleuve qui générait une intense activité artisanale et commerçante. Mais, tout au long des siècles, ce quartier a subi les assauts du Rhône. Les 29 et 30 novembre 1651 :« il y eut un débordement extraordinaire du Rhône qui fit un grand trou et emporta plusieurs maisons et ruina les murailles qui protégeaient la basse ville ».[3]
Sur l’emplacement du parc Jouvet actuel, les prairies et les jardins étaient régulièrement envahis par l’écoulement des eaux de la colline : « Le projet d’y créer un parc public est ancien. Il permettrait d’assainir ce quartier, rendu malsain par les eaux qui y stagnent et que l’on juge responsables des épidémies affectant périodiquement tout le quartier de la basse ville ».[4]

Crue du Rhône en 1955, quartier de la Basse-Ville, à l’arrière-plan, la rue Pêcherie.
« Valence était l’entrepôt de tout le sel qui remontait sur les barques. Vers ce point du quai où il n’y a plus rien et qu’on appelait le « portalet du sel », le cadastre de 1547 nous signale, outre les autres constructions de cette agglomération, dix maisons et boutiques à sel, appartenant à des familles importantes de ce temps qui faisaient ce commerce, entre autres celles de Gaspard Mayault, de Dymanche Emeric, de Jaume Merveilleux, hommes marquants de la bourgeoisie du XVIème siècle, dont nous avons retrouvé le nom et les possessions dans d’autres quartiers, car c’était à ce commerce qu’on faisait fortune.[5]
« Dans le quartier de la basse ville s’était développé, le long du fleuve, un artisanat lié à la présence des ports : le petit port de la Pêcherie pour le commerce local entre les deux rives, reliées par le bac à traille et le grand port du Bourg pour le trafic fluvial. Il a été occupé du IIIe siècle jusqu’à l’époque moderne ; il était peuplé par les haleurs, ou affaneurs, qui, à partir de 1475-1480 se feront laboureurs ou artisans.
L’îlot Soyons [rue Saint-Martin et rue des Jardins] reste aujourd’hui le dernier témoin de la structure médiévale[6].
Le recensement de l’année 1812 montre que les habitants étaient tisserands, jardiniers, journaliers, employés de l’octroi au bureau du bac-à-traille mais le métier le plus représenté était celui de marinier.[7]
Entre les deux guerres, des usines nouvelles ont vu le jour : la Boulonnerie calibrée ; Toussaint-Devilbis ; la Cuivrerie du Sud-Est ; les Cartonnage Blanc ; les Tanneries Balsan et Mirabel-Chambaud (place Notre-Dame de Soyons) ; les transports Bonnardel ; les Cafés Pivard ; les Graines Tézier, les Moulins Basset-Bouvier, etc.
Elles avaient un grand besoin de main d’œuvre et faisaient vivre de nombreuses familles, dont une importante communauté d’Arméniens, réfugiés à la suite du génocide de 1915 (en 1926, Valence comptait 827 Arméniens pour 30 964 habitants et 1670 en 1936 pour 34 275 habitants soit 4.87 %.[8]
Marie Thérèse Savelli écrivait en 1945 : « Les industries alimentaires : une notable partie de l’industrie valentinoise est dans la dépendance directe de l’agriculture, qui demeure la principale richesse de la vallée du Rhône. Tel est évidemment le cas de la meunerie. Ses humbles débuts sont à rechercher dans l’activité des petits moulins installés sur les ruisseaux de Valence, lesquels ont utilisé dès le Moyen-Age le blé de la plaine voisine. Vers 1880 le remplacement des meules par les cylindres intensifie le rendement et permet l’installation de grosses minoteries, vraies usines à farine, susceptibles d’écraser quotidiennement d’importantes quantités de blé. Dans ces conditions la Société Basset et Bouvier exploite les très anciens moulins Saint-Pierre, situés à Bourg, capables de triturer 100 quintaux de blé par jour. Elle dirige également les grands Moulins de Valence établis sur les quais du Rhône /… ».[9]
« Le couvent des Dominicains, autrement dit les Jacobins, occupait une partie de ce grand clos sur les bords du Rhône qui a été pris pour l’arsenal. Cette maison, fondée en 1234, avait pris rapidement de grands accroissements et une certaine renommée, car on porte jusqu’à cent le nombre des religieux qui y vécurent ensemble dans la ferveur… On assure qu’Humbert, dauphin de Viennois, aimait à s’y retirer, et que ce fut là qu’il conçut le projet d’entrer dans l’Ordre des Frères Prêcheurs.
La noble et riche abbaye des religieuses Bénédictines de Soyons y fut transférée en 1632, à l’époque des troubles qui ont agité ce pays.
Les Capucins s’étaient établis aussi sur les bords du Rhône, dans le local où se trouve aujourd’hui l’hôpital. On peut juger l’importance de cette maison religieuse par les bâtiments et l’étendue des jardins. Ce quartier était anciennement considérable et peut-être le plus important du vieux Valence »4.
La construction de l’autoroute en 1960-1965 a profondément modifié la basse ville de Valence.
À partir de l’avenue Gambetta, au niveau de l’ancien bac-à-traille et de la rue Pêcherie, jusqu’au Bourg-lès-Valence, de nombreuses maisons ont été abattues. Ainsi ont disparu la promenade le long du Rhône et tout un quartier populaire et laborieux, très animé avec des commerces et des cafés où se retrouvaient les mariniers, les pêcheurs et les ardéchois qui empruntaient le bac.
De l’Arsenal il nous reste la porte d’entrée et la chapelle Notre-Dame de Soyons, classées aux monuments historiques.

Quai du Rhône, quartier de la basse ville en 1914. Aujourd’hui, c’est une autoroute…
En rédigeant ce document je voulais retracer l’évolution sociologique de cette partie de la ville. Aux familles bourgeoises de l’époque médiévale, aux religieux après les guerres de religion, ont succédé les populations de la classe populaire à partir de la Révolution.
Complément à mon article :
La disparition, à Valence, d’un établissement séculaire, l’école des frères par Alain Balsan, revue drômoise numéro 581 de 09/2021.
[1] Louis Sapet est ouvrier chez Tézier. De ce second mariage naîtront deux fils.
[2] Ville de valence et office du tourisme, 1991, cote 944/98 pp. 182-183, Médiathèque.
[3] Annales valentinoises, Marius Villard, p. 98.
[4] Le parc Jouvet, Alain Balsan. Revue Regard N° 88, 2018. pp. 12-14
[5] Valence et ses rues, F. Dupré de Loire, Société d’archéologie et de statistique de la Drôme, T. 8, 1874, pp. 162-174.
[6] Travaux et recherches archéologiques de terrain dans la Drôme, Elvio Seggato, Revue drômoise N° 509, Page 224.
[7] 1Num 910, vue 30-48, AD26.
[8] Page 523-538, la colonie arménienne de Valence de P. Garagnon, in Revue de géographie alpine, tomme 44, n°3, 1956.
[9] Valence-sur-Rhône. La ville actuelle, Marie-Thérèse Savelli, Géographie Alpine, 1945. p. 653.
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.