Marius, arrière-grand-père maternel, né en Ardèche, soldat de la guerre 14/18

Le 28 juin 1914, l’archiduc d’Autriche est assassiné avec sa femme en Bosnie, par un jeune nationaliste serbe bosniaque ; l’Autriche-Hongrie saute sur l’occasion pour éliminer le slavisme qui compromet la solidité de l’empire.  Cela aurait pu rester un conflit local de la géographie des Balkans.

Par le jeu des alliances de la triple alliance (Allemagne, Autriche-Hongrie, Italie) et de la triple entente (France, Royaume-Uni, Russie) la guerre se met en mouvement. En plus, Guillaume II est convaincu qu’il faut profiter des circonstances pour éliminer la France. Il croit que, comme en 1870, la France sera isolée.

Le traité de Francfort est un traité mettant fin à la guerre franco-allemande de 1870/1871. Ce traité prévoit la cession de l’Alsace, de la Moselle à l’Allemagne. Ci-dessous la carte montre la frontière établie [1] :

Lorsque l’Allemagne, en 1914, déclare la guerre à la France, celle-ci mobilise 3 600 000 hommes toutes armes confondues, répartis en 173 régiments d’active, 173 régiments de réserve et 144 régiments territoriaux.

Mon arrière-grand-père maternel Marius Rivier nait le 29 novembre 1879 à Gras dans le département de l’Ardèche. Il se marie le 26 janvier 1910 à Valence, dans la Drôme, avec Louise Victoire Guillot. Il exerce le métier de chauffeur.

Des années plus tôt, bon pour le service militaire, classe 1899, le 16 novembre 1900 il arrive au corps où il devient soldat de 2ème classe et le 21 septembre 1901 il est envoyé dans la disponibilité à titre de soutien de famille. Il accomplit une seconde période d’exercices dans le 55ème Régiment d’Infanterie du 05 au 21 octobre 1908 avant de passer dans l’armée territoriale le 01 octobre 1913.[2] L’armée territoriale requiert l’ex soldat pendant douze ans avec une période de deux semaines.[3]

Le 55ème Régiment d’Infanterie a son dépôt à Pont Saint Esprit : il est constitué d’hommes du département Gard et du sud département Ardèche ; tous les hommes classe 1899 dépôt de Pont Saint Esprit ne seront pas mobilisés dans le même régiment en août 1914.

Je retrouve Marius avec son épouse à Bourg Saint-Andéol durant l’année 1911[4] et au 01 décembre 1912 à Meysse toujours dans l’Ardèche (information sur sa fiche militaire). Ordre de mobilisation générale en date du 02 août 1914 : départ pour la guerre arrive au corps le 14 août. Il est affecté au 255ème Régiment d’Infanterie composé d’Ardéchois, d’Aveyronnais, de Gardois, de ceux des départements des Pyrénées -Orientales, du Tarn et du Vaucluse.[5] Joseph Charles Figuière, né en 1885 à Gras comme Marius, est peut-être un camarade de celui-ci ; ont-ils dialogué dans leur village ? ils se trouvent dans le même régiment.[6]

L’effectif de ce régiment de réserve est de 38 officiers, 2223 hommes de troupes et 131 chevaux et mulets. Il s’embarque en chemin de fer à destination de Dieue sur Meuse où il cantonne.[7]

L’uniforme de l’homme de troupe en 1914 [8] :

« Il est coiffé du képi modèle 1884 à coiffe garance et bandeau bleu foncé recouvert d’une housse en toile bleue. Il porte la capote en drap gris de fer bleuté dont l’existence remonte au second Empire. Le collet porte les numéros du régiment sur des pattes garance. Le pantalon garance est enserré au niveau des mollets dans des jambières de cuir noir modèle 1913 se laçant devant. Le ceinturon porte 3 cartouchières de cuir noir et la baïonnette dans son fourreau porté sur le côté gauche/ L’arme de dotation de l’infanterie métropolitaine est le fusil modèle 1886 modifié en 1893 (1886 M 93), aussi appelé fusil Lebel, du nom du directeur de l’Ecole normale de tir ». [9]

« C’est à Gussainville*, le 24 août 1914, que le 255ème entra en contact avec l’ennemie. Il formait alors un des éléments de la 75ème division, rattachée elle-même au 6ème corps d’armée qui avait reçu la mission d’interdire l’accès de Verdun par l’est à l’armée allemande ». [10] *village du département de la Meuse 

Le 255ème RI est aux avant-postes : « Le plateau des Cotes forme à droite de la Meuse une longue barrière naturelle dont l’importance militaire est encore accrue par l’établissement de nombreux ouvrages fortifiés (forts de Génicourt, Troyon, les Paroches, le Camp-des-Romains, Liouville, Gironville, Jouy, Pagny) placés sur différents points entre Verdun et Toul, notamment dans le voisinage des trouées qui s’ouvrent ver la callée de la Meuse : celle-ci est elle-même défendue en son milieu par l’immense camp retranché de Verdun».[11]

Extrait de la carte ‘grand Verdun’ fournie par l’office de tourisme de Verdun :

https://remonterletemps.ign.fr/comparer/1850 scan historique :

Ce régiment est envoyé aux Eparges où, d’octobre à décembre : il organise la lisière du bois Haut, la cote 304, les abords ouest du village de Saint-Rémy, la tranchée (terme forestier équivalent de route) de Calonne*. Le 17 décembre 1914 il rejoint Lacroix sur Meuse.

*suit une route large, dure et droite (livre page 265 ‘Ceux de 14’). Cette route tient son nom du ministre des Finances de Louis XVI qui entreprend des travaux pour accéder à son château des Hauts-de-Meuse.

Extrait de la carte ‘grand Verdun’ fournie par l’office de tourisme de Verdun :

Au 17 novembre 1914 le front se stabilise, les troupes commencent à se fixer puis à s’enterrer.

« L’hiver 1914-1915 s’écoule ainsi, entièrement consacré à l’exécution de travaux défensifs ; mais la stabilité à laquelle les circonstances l’ont condamné, le séjour continu dans des tranchées dépourvues de tout confort n’ont nullement entamé l’allant de nos hommes ».[12]

Décembre : les Allemands creusent des tranchées tout au long du front ouest, de Nieuport à la frontière suisse écrit François Bertin dans son ouvrage ‘La Grande Guerre’.

Côté Français « Cela consiste à progresser, la nuit d’une cinquantaine de mètres, jusqu’à une tranchée amorcée par le génie. On l’occupe ; on la renforce ; et, quand elle est solide, on l’abandonne pour ‘bondir’ encore ».[13]

Le rôle de l’infanterie consistera à détruire les premières lignes des tranchées allemandes.

Comparaison des tranchées [14]:

Année 2023 : restes de tranchées allemandes à Saint-Baussant dans le département Meuse : photographie personnelle de l’auteur :

« La bataille de Champagne étant arrivée à son terme, le général Joffre décidait de transférer son offensive principale en Woëvre, comportant une attaque en tenaille sur les deux faces du saillant de St-Mihiel. L’attaque brusquée, exécutée par surprise, avec le maximum de puissance, devait aboutir à un résultat complet rapide, sinon les progrès réalisés à cette occasion devaient être consolidés et les forces engagées remises à la disposition du commandant en chef. L’attaque eut lieu le 05 avril 1915, mais les conditions climatiques entre autres, seront telles que l’offensive échouera *».[15]

*Le sol reste sec jusqu’au 3 avril, puis pluie les jours suivants. L’offensive sur le bois de Lamorville est une proposition du général Dubail. [16]

« Le 7 avril, le 5ème bataillon*, superbement entraîné par le commandant Campestre, se portait à l’attaque du bois de Lamorville et pénétrait dans les lignes allemandes / énergiquement commandé, a marché le 07 avril, sous un feu violent, à l’attaque d’une lisière de bois fortement organisée, avec un courage, un dévouement, un esprit de sacrifice tout à faire exemplaires. S’est maintenu jusqu’à la dernière extrémité sur la position conquise. Obligé de se replier devant l’arrive de forces nombreuses, a rejoint avec calme et discipline son front de départ en ramenant les prisonniers qu’il avait faits ».   *du 255ème RI

Carte représentant le lieu [17] :

« Le combat de Lamorville constitue le dernier fait d’armes important que le 255ème accomplit dans le secteur de Lacroix. Deux mois plus tard, le régiment était relevé des tranchées de la cote 294 ; il se séparait du 6ème corps et était dirigé sur l’Argonne ».[18]

La 126 D.I a été créée par ordre du 6 juin 1915. Constituée le 19 juin 1915 en autre du 255ème R.I venu de la 150ème brigade.[19]

Pour recouper les points de vue, il est écrit dans le tome 2, les armées françaises pendant la grande guerre :« L’attaque tentée sur Lamorville se réduisait à une incursion dans les tranchées adverses suivie d’un retour aux positions de départ », et du rapport du 211ème régiment d’infanterie : Attaque du bois de Lamorville (7-8-9 avril 1915) :

« En avril, moment où se produisait en Woëvre, l’offensive française ayant pour but de ‘réduire la hernie de St-Mihiel’ le secteur devait reprendre son activité. Le commandant ayant décidé de faire simultanément avec l’attaque en Woëvre, une attaque sur le bois de Lamorville.

Les deux bataillons du 211è ont pour mission d’assurer l’inviolabilité du front et d’aider par leurs feux, le 29è B.C.P. et un bataillon du 255e régiment d’infanterie chargés de l’attaque proprement dite. A 15 heures commence la préparation d’artillerie à laquelle répond une contre-préparation des plus violentes. A 15 heures 45, l’attaque d’infanterie est déclenchée en deux colonnes : la colonne de droite, sous les ordres du commandant Zerbiny, comprend le 29’ B.C.P. une section de mitrailleuses et deux sections du génie ; la colonne de gauche, sous les ordres du commandant Campestre du 255 » R.I. comprend un bataillon de ce régiment, une section de mitrailleuses, deux sections du génie. Objectif pour tous : les tranchées en lisière* du bois de Lamorville. La colonne de droite, aussitôt sortie, est prise sous les feux extrêmement violents d’artillerie et de mitrailleuses ennemies et se heurte à des réseaux intacts. Elle ne peut atteindre son objectif. La colonne de gauche atteint son objectif, le dépasse, mais est obligée de se retirer une heure après ». *ouest (vue 14, PDF du 220è RI)

« La colonne de gauche, protégée par un défilement, parvient aux prix de grandes difficultés dans les tranchées allemandes qu’elle commence à retourner et à organiser. Elle y fait 2 officiers, 2 sous-officiers et 18 soldats prisonniers, mais prise d’enfilade par le tir des mitrailleuses ennemies et menacée d’être débordée sur son flanc, elle doit se replier ».[20]

Déjà du 22 au 27 septembre 1914, un affrontement a lieu à cet endroit : le 154ème Régiment d’Infanterie doit attaquer le bois de Lamorville pour déborder l’ennemi par le nord.

En 1914 : « Les avant-postes sont placés et dès le matin du 22 commencent les durs combats de Lamorville et de Lacroix-sur-Meuse, qui se poursuivent jusqu’au 26 ».[21]

« Deux ans après à la fin septembre 1917, par exemple, le 88ème régiment d’infanterie est sur la zone. Borne commémorative – Lamorville 1918 (Granit rose d’Andlau- France) : après la guerre, le sculpteur Paul Moreau-Vauthier (1871-1936) souhaita baliser la ligne de front sur sa position du 18 juillet 1918, avant la dernière offensive alliée. 118 bornes furent installées en Belgiques et en France » (photographie et texte du Mémorial de Verdun).

Elle se situe sur la départementale 162 entre les villages de Lacroix sur Meuse et Lamorville.

L’une des plus grandes peurs du soldat est de mourir sans que son corps ne puisse être identifié : si c’est le cas sa famille ne pourra pas se recueillir sur sa tombe.

Le 07 mars 1916 le maire de Valence reçoit ce courrier de la part du 55è régiment d’infanterie basé à Pont Saint-Esprit dans le département du Gard[22]:

Avant d’avoir la visite de l’officier d’état civil en 1916 mon arrière-grand-mère Louise Victoire se doute bien qu’un malheur est arrivé à son époux : plus de courrier de lui depuis environ 10 mois.

La correspondance est primordiale pour entretenir le lien entre la famille et le poilu. Donner des nouvelles même plusieurs fois par jour à la famille est une chose courante. Marius ne sait ni lire, ni écrire (information sur sa fiche militaire ‘degré d’instruction’). Il peut s’appuyer sur ses camarades pour leur dicter ses lettres.

Certains soldats préparent leur famille à leur disparition : ils rédigent une lettre testament : n’ayant pas de biens, mon ancêtre n’a pas eu besoin d’en faire rédiger une.[23]

Ce 7 avril 1915, le régiment de Marius est au combat : Représentation du champ de bataille[24] :

Un réseau de fils barbelés en Argonne [25]:

Organisation des tranchées allemandes [26] :

« Au coup de sifflet de l’officier, il faut escalader le parapet, traverser le réseau de barbelés, et se ruer sur le no man’s land balayé par les mitrailleuses et l’artillerie adverses ».[27]

Mon aïeul fait partie de la section des mitrailleuses ; son corps n’est pas retrouvé. Son nom n’est pas sur la liste des sépultures de guerre.[28] Peut-être qu’il est inhumé collectivement et anonymement dans un ossuaire ?

Joseph Charles Figuière, dont je parle dans mon écrit précédent, meurt le même jour, au même endroit que mon aïeul.

Le 19 avril 1915 un renfort de 250 hommes comprenant un adjudant, huit sergents et seize caporaux arrive de Pont Saint-Esprit pour remplacer en partie les pertes du 7 avril du 5ème bataillon.[29]

De la classe 1899 de la France : 244 000 hommes sont mobilisés, 29 650 se font tuer soit 12.2 % du nombre de soldats (document affiché sur un mur intérieur du fort de Vaux).

La mairie de Meysse transcrit son décès sur les registres le 8 juillet 1920 et le 09 août 1920 le tribunal de Valence rend son jugement : ‘tué à l’ennemi’[30].

Son nom figure sur le monument aux morts de la ville de Valence.[31]Il est absent sur celui de sa commune de naissance, Gras.

Concernant le 55e régiment d’infanterie : « Du 20 janvier au 6 mai 1915, le 55e régiment d’infanterie assure, avec le 61e régiment d’infanterie, la garde du secteur Béthincourt-moulin d’Haucourt-moulin de Raffécourt-bois Carré- tranchées nord de Malancourt/ aucune action particulièrement importante à signaler ; les troupes se font à la vie des tranchées, creusent la terre, construisent des abris ».[32]

Il résulte de cette guerre 600 000 veuves et 760 000 orphelins.[33]

« Laconique, redoutés par les familles, les avis officiels de décès rendirent la mort du soldat mystérieuse, énigmatique. Doublés de l’absence de la dépouille, ils plongèrent les proches dans un deuil inachevé. En effet, ne pouvant répondre aux quatre temps clés du deuil (l’oblation, la séparation, l’intégration et la commémoration), la mort revêtit alors une dimension particulière ».[34]

Le 16 novembre 1920 Louise Guillot, veuve Marius Rivier, se remarie avec Louis Xavier Sapet, poilu dans le 114è régiment d’artillerie lourde. Le ménage n’est pas riche : ma grand-mère Odette Rivier, en 1923, reçoit l’aide de l’Etat : « Il serait peut-être nécessaire d’habiller la pupille ».[35]


[1]https://fr.wikipedia.org/wiki/Fronti%C3%A8re_entre_l%27Allemagne_et_la_France#/media/Fichier:Trait%C3%A9_de_Francfort.svg

[2] Classe 1899, bureau de Pont Saint Esprit (30), matricule 1062, 1 R 874, AD30

[3] François Barbier-CEGFC n° 334-Mars 2010

[4] Recensement de Bourg Saint-Andéol, année 1911, 6 M 090, AD07

[5] http://mpf.provence14-18.org/

[6] 1 R 942, AD30

[7] Vue 5, vue 6, 26 N 729, mémoire des hommes 

[8] PDF, musée des armées

[9] Page 15, page 18, 14-18, la Grande Guerre par François Bertin

[10] Page 3, PDF, Historique du régiment 255ème RI, 1914/1917, mémoire des hommes

[11] PDF, vue 34, Département de la Meuse, Verdun par H. Lemoine, imprimerie Freschard, année 1909, AD55

[12] PDF, Historique du régiment 255ème RI, 1914/1917

[13] Page 251, Ceux de 14, Maurice Genevoix, édition 2018

[14] Page 98, 14-18, la Grande Guerre par François Bertin

[15] Panneau explicatif au village de Flirey dans le département de la Meurthe et Moselle

[16] Vue 574, PDF tome 2, les armées françaises pendant la grande guerre

[17] Vue 68, 26 N 729, mémoire des hommes

[18] Page 4, PDF, Historique du régiment 255ème RI, 1914/1917, mémoire des hommes

[19] Gallica page 758, PDF tome X, les armées françaises dans la grande guerre

[20] Vue 13, PDF du 302 RI, https://argonnaute.parisnanterre.fr/

[21] Vue 7, PDF du 161 RI, https://argonnaute.parisnanterre.fr/

[22] Dossier 1725, pupille de la nation, AD26

[23] https://testaments-de-poilus.huma-num.fr

[24] Page 96, 14-18 La grande guerre par François Bertin, édition Ouest France

[25] Gallica.bnf.fr

[26] Panneau explicatif, les tranchées allemandes de Saint-Baussant

[27] Page 5 la vie des poilus par Christophe Thomas, collection 1914/1918, édition Orep

[28] https://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/fr/article.php?larub=44

[29] Vue 62, 26 N 729, mémoire des hommes 

[30] http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/spip.php?page=base_liste

[31] http://www.architecture-art-deco.fr/Parc-Jouvet-Monument-aux-morts-Valence-Henri-Joulie.html

[32] Page 11, https://argonnaute.parisnanterre.fr/ark:/14707/5gnh3bxkw247/43ebc5a9-ca18-4757-8ab0-cc9fd152b2c3

[33] Page 8, 14-18 La grande guerre par François Bertin, édition Ouest France

[34] https://le-souvenir-francais.fr/beatrix-pau-restitution-corps/?fbclid=IwAR1Em-TXqzYSCcoOM5MzI7_ocij3dD8_SUhaeLirsAHBIF2qM0MGpEHzIqM

[35] Dossier 1725, pupille de la nation, AD26

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